Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PRISME A TERRE
18 août 2013

Lettre XIV

R., Mardi 6 décembre,  04h36

 

« Je crois qu’au fond, vous n’avez jamais aimé quelqu’un assez fort … »

 

Des frissons. Pourquoi ai-je le sentiment d’assister à mon propre procès.

 J’ai froid.

« …pour lui permettre d’exister pleinement dans ce monde, qui est le vôtre »

 

Faites-entrer l’accusée, je répondrai de mes actes.  Il y a cette douleur aigue qui se répand dans chacun de mes nerfs et je n’arrive plus à discerner ce vertige qui commence à me prendre toute entière.

Que me faut-il répondre. Que je suis bien trop égoïste au point de ne pas vouloir vous faire subir les crissements  des âmes à toutes heures du jour et de la nuit ? Pardonnez mon ignominie, vous, qui ne savez rien et qui pourtant condamnez tout.

Faut-il que je vous parle des mots violés, des regards dévastateurs, des sentiments gardés sous clefs, des pertes de sang, des vergetures de l’âge, des tombeaux hérétiques, des cris, de la fierté qui nous annihile ?

Faut-il que je vous parle du rejet, de cet orgueil qui nous pourrit les entrailles, de ce Nom porté comme un fléau, comme un blason d’où s’accumulent de génération en génération toutes ces noirceurs, ces conquêtes, ces guerres, ces divergences manipulatrices, ces étendards qui brûlent sous chacun de nos pas ? 

Parlez, parlez, pauvre fou, vous ne savez rien. Vous ne pouvez qu’imaginer, et quand bien même vous approcheriez de la vérité, vous fuiriez votre corps tant le supplice en serait grand.

 

Alors oui, je plaide coupable, si c’est cela que vous voulez entendre car je suis fatiguée, car je suis épuisée de vous  écouter paroisser et gesticuler quand vous ignorez jusqu’à l’ombre de mes émois. Oui, je suis fatiguée et ivre d’un pays qui n’existe ni ici, ni ailleurs alors jugez-moi comme bon vous semble, je me fous bien de votre sentence.

Ce ne sera rien à côté des prisons que je côtoie, croyez-moi et ce n’est pas là un puéril caprice de jeune enfant grondée par quelque autorité outrancière.

Là d’où je viens, on ne s’autorise pas à parler, on ne peut qu’acquiescer, le corps mortifié de rage, les yeux brûlants et le visage glacé de haine éparpillée. Là d’où je viens, l’on rêve d’une faux qui vous tranche la tête la nuit et l’on se réveille à l’aurore, désespéré de n’avoir pu que rêver. Oui, rêver, c’est ce qu’il nous reste après que l’on nous ait dépouillé de la plus petite once de vie, d’envie, du plus petit espoir de survie.

Et ne me demandez pas le nom pas de mes pères, je le ai enterrés si profondément dans les crevasses de ma mémoire que j’aime à croire que je suis et resterai cette orpheline de sang.

 

Pas assez aimé, que vous disiez…ou bien peut-être trop. Mais là encore, quelle différence.

Je plaide coupable. »

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité